LES CÉLÉBRATIONS DE BOURGOGNE

1815 ● La traversée de la Bourgogne au retour de l’Ile d’Elbe

Le mameluk Ali raconte : « Le 13 [juin], l’Empereur alla coucher à Mâcon, où il arriva à la nuit fermée. À chaque moment, il y avait des pelotons de soldats à pied ou à cheval, commandés par des sous-officiers, qui venaient offrir leurs services et se joindre à l’armée, et, plus on avançait, plus l’escorte de l’Empereur devenait considérable. C’étaient des officiers de toutes les armes, qui avaient abandonné leurs corps pour avoir le bonheur d’être avec leur père et de le suivre dans sa marche triomphale. Dans un endroit que je ne me rappelle pas, un sapeur de dragons, à la barbe longue et touffue, arriva près de l’Empereur, l’enlaça de ses bras nerveux et l’embrassa à plusieurs reprises. Cet homme, pendant tout le voyage, n’a cessé de faire partie de la suite de l’Empereur ; il était remarquable par son grand bonnet à poil et sa barbe. Parmi ceux qui faisaient partie de l’escorte, il y avait deux ou trois officiers de mameluks. Le 14, l’Empereur coucha à Chalon. […] Toujours le même accueil, le même empressement de la part des populations. Le 15, il entra à Autun. Il reçut un peu rudement le maire et le conseil municipal de cette ville. L’Empereur ayant appris que ces messieurs se laissaient diriger par les nobles et les prêtres, dont ils suivaient toutes les impulsions, leur dit entre autres choses : que leurs fonctions, dans toute circonstance, étaient de maintenir l’ordre, la tranquillité et la paix, et non d’obéir aux nobles et aux prêtres qui cherchaient à mettre le trouble dans les esprits, à fomenter la discorde et à exciter au désordre […] Le maire et quelques membres du conseil cherchèrent à placer quelques mots pour se justifier, mais leurs paroles se trouvèrent comme perdues parmi les expressions véhémentes qui, sortant comme un torrent de la bouche de l’Empereur, ne leur permettaient pas la réplique. Le sermon fini, plusieurs crièrent : « Vive l’Empereur ! » L’Empereur en les saluant, leur dit encore quelques mots, mais avec un peu plus de douceur, comme pour atténuer un peu l’âpreté du langage qu’il leur avait tenu. Comme partout, les abords de la maison étaient occupés par la foule d’où partaient des : « Vive l’Empereur! À bas les Bourbons ! À bas la calotte ! » Le 16, l’Empereur coucha à Avallon et le 17 à Auxerre. Dans cette ville-ci, il fut logé à l’hôtel de la préfecture. Toujours de l’enthousiasme, des acclamations. De temps en temps, des détachements de cuirassiers, de chasseurs, de dragons étaient venus et venaient grossir l’armée.

À Auxerre, il y eût une scène semblable à celle qui avait eu lieu à Autun ; mais ce fut avec le clergé, composé d’un certain nombre de prêtres, parmi lesquels étaient un ou deux curés. On avait rapporté à l’Empereur que, dans leurs prédications, ces messieurs les ecclésiastiques mêlaient de la politique ayant trait aux évènements du moment. Dès qu’ils avaient appris son débarquement, ils n’avaient pas manqué de parler de lui d’une manière assez peu révérencieuse :  » Qu’avez-vous besoin de vous mêler de politique ? Prêchez la paix, la concorde ; renfermez-vous dans la morale de l’Évangile. Le spirituel doit être le seul objet, le seul texte de vos prédications ; bien loin de là, c’est toujours le temporel qui vous occupe. Pourquoi ces déclamations furibondes que vous jetez du haut de la chaire, d’où il ne devrait tomber que des paroles de douceur, de charité, de paix de conciliation, d’équité et de soumission aux lois ?  » Les expressions ne manquèrent pas à l’Empereur pour leur faire sentir son profond mécontentement. […] Pour faciliter la marche du soldat, et le reposer, on réunit un certain nombre de bateaux sur lesquels on fit embarquer une partie de l’infanterie ; c’était un enthousiasme, une joie générale. Il semblait que les soldats allassent à une grande fête à laquelle ils étaient conviés ; des chants, des acclamations, des « Vive l’Empereur ! Vive Napoléon ! À bas ceci ! À bas cela! » retentissaient sur les bateaux et sur les rives de l’Yonne, le long desquelles se précipitaient les populations qui, à leur tour, ne restaient pas muettes à toutes ces manifestations. Le délire était dans toutes les têtes. l’ étincelle électrique s’était communiquée à tous. […] Dans la matinée du 18, l’Empereur reçut le maréchal Ney. C’est par l’intérieur que passa le maréchal. Il resta quelques instants dans la pièce voisine de la chambre à coucher. Ses yeux étaient pleins de larmes. […] Je crois que l’Empereur partit tard d’Auxerre, et je ne sais où il coucha dans la nuit du18 au 19, ni même s’il coucha quelque part, excepté dans sa voiture… »

Le mameluk Ali, de son véritable nom Louis-Étienne Saint-Denis, est né le 22 septembre 1788 à Versailles et décédé le 3 mai 1856 à Sens. Il fut un fidèle serviteur de Napoléon Ier, qu’il suivit sur l’île d’Elbe puis à Sainte-Hélène. En 1814, il apprit l’abdication de l’Empereur qui partait pour l’ile d’Elbe. Le mameluk Roustam ayant disparu, Caulaincourt le remplaça par Louis-Étienne qui ne quittera plus Napoléon. Celui-ci l’appellera le mameluk Ali. En 1826, il s’installa à Sens et il fera partie du conseil municipal. Il mourut dans cette ville. En 1826, il avait publié ses Souvenirs sur l’Empereur Napoléon où nous avons pris le texte ci-dessus, et en 1840 Un Journal inédit sur le retour des cendres, retour auquel il avait participé. – MP

 

Mameluk Ali, Souvenirs sur l'Empereur Napoléon, Christophe Bourachot, Arléa, 2013, 264 p. ; - Journal inédit sur le retour des cendres, Jacques Jourdoin, Taillandier, 2003, 302 p.