LES CÉLÉBRATIONS DE BOURGOGNE

1572 ● Pas de « massacre de la Saint-Barthélemy » en Bourgogne

En 1681 dans le nouveau décor de la chambre du conseil de ville de Dijon, on fit peindre cette inscription : « Pierre Jeannin empêcha par sa sagesse que la ville de Dijon n’éprouvât les horreurs de la Saint-Barthélemy en août 1572 » ; en 1791, la municipalité décida, en souvenir du drame, de donner les noms de Jeannin et de Chabot-Charny à deux rues importantes ; plus tard, au 67 de la rue Chabot-Charny, emplacement de l’ancien hôtel des Chabot, fut apposée une plaque ainsi rédigée : « En ce lieu fut l’hôtel où, dans un conseil mémorable, sur la motion de Jeannin, Chabot, comte de Charny, lieutenant général en Bourgogne, résolut de sauver cette province des massacres de la Saint-Barthélemy. » Ainsi Dijon s’affirme comme un lieu de mémoire de la tolérance religieuse.

Les historiens ont beaucoup travaillé sur l’événement parisien, son déroulement (18-24 août 1572), ses causes et conséquences ainsi que sur ses suites en province où des massacres eurent lieu durant le mois de septembre dans les environs de Paris, à Lyon, à Troyes puis dans la France méridionale.

Pour Dijon, le récit, tardif, de Pierre Jeannin est le seul témoignage du conseil décisif, réuni par Léonor Chabot, le 30 août 1572, à l’arrivée de deux messagers porteurs de lettres de créance et d’un message oral du roi Charles IX dont la teneur demeure inconnue. Philibert de La Guiche, Jacques de Vintimille et Pierre Jeannin sont invités à débattre sur la conduite à tenir. La parole est donnée en premier lieu à Pierre Jeannin, le plus jeune et le moins titré : à trente ans il est avocat au parlement, avocat conseil des états et, depuis peu, de la ville. Il propose d’interroger séparément les deux envoyés du roi et de leur demander de mettre par écrit les ordres royaux. Ils s’y refusèrent. Jeannin demanda alors, en utilisant un parallèle antique (celui de Théodose et d’une persécution des premiers chrétiens ordonnée et rapportée), de solliciter une confirmation avant toute action. Son avis fut suivi. Deux jours plus tard de nouvelles instructions, datées du 27 août, arrivèrent : elles interdisaient les violences. Les protestants dijonnais furent emprisonnés jusqu’à la fin d’octobre, un seul, Jean-Jacques-Celse de Traves, calviniste notoire au service de Coligny, a été tué. Parmi les prisonniers il y eut 147 abjurations. Le développement du calvinisme dans la ville est définitivement arrêté.

L’attentisme des autorités à ce moment tranche-t-il avec les décisions des gouverneurs ou des lieutenants généraux de Bourgogne qui avaient été favorables à la Ligue catholique ? Les travaux les plus récents le mettent en doute, soulignant les continuités politiques et montrant combien l’historiographie a pu figer les attitudes et opposer les protagonistes. L’évitement d’un massacre de la Saint-Barthélemy est dans la continuité de la politique des lieutenants généraux. L’exemple bourguignon n’est d’ailleurs pas unique, d’autres « hommes providentiels » ont aussi tergiversé comme, par exemple, Matignon en Normandie ou Gordes en Provence…

Mais le retentissement des tueries parisiennes a été immédiat et profond. En témoignent les « pactes d’amitié » signés dans les semaines qui suivent. J. Foa en a retrouvé une vingtaine de mentions, huit textes ont été conservés dont celui de Chalon-sur-Saône, signé le 31 août 1572, en présence du maire par soixante-quatre chefs de famille.

David El Kenz, « La Saint-Barthélemy à Dijon, un non-événement », Annales de Bourgogne, t. 74, 2002, p. 139-157 ; Jérémie Foa, « Bien unis et paisibles ? une non-Saint-Barthélemy à Chalon-sur-Saône (septembre 1572) », Les affrontements religieux en Europe, début XVIe-mi XVIIe s., éd. V. Castagnet, O. Christin, N. Ghermani, Lille, Presses du Septentrion, 2008, p. 217-223 ; ID., « La Saint-Barthélemy aura-t-elle lieu ? Arrêter les massacres de l’été 1572 », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, t. 24, 2012, p. 251-266