« Je viens feuilleter mon Gras ! » Cette expression d’un académicien de Dijon résume tant la disponibilité que l’encyclopédisme de Pierre Gras : « pourquoi oublier quand c’est si simple de se rappeler »… lorsque la mémoire est attisée par une curiosité intellectuelle et un sens aiguisé de l’observation. Né avant la guerre, comme il se plaisait à dire, le 29 juillet 1914, à Chalon-sur-Saône, il dévore dès son adolescence les Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de la ville. Étudiant vite remarqué à Dijon, une licence d’histoire et de géographie en poche, il entre 1er de la promotion à l’École des chartes et en sort major en 1939 (thèse, inédite, sur la vie rurale dans la région chalonnaise). Mobilisé, le sous-lieutenant Gras sert dans la cavalerie sur le front des Ardennes. Démobilisé, il travaille aux Archives nationales puis, en 1942, est appelé à Dijon pour diriger la « Bibliothèque des Godrans » selon ses mots encore, 7e bibliothécaire depuis… Louis XV, poste qu’il ne quittera plus et qui comportait alors la direction de la bibliothèque universitaire et le contrôle des Archives municipales. Il gérera le transport des collections pour les mettre en sécurité pendant l’occupation et reprendra l’uniforme militaire en 1944 dans la 1e Armée. Conservateur en 1952, conservateur en chef en 1963, il accomplit une tâche immense, scientifique et administrative, sur les traces de son prédécesseur Charles Oursel : reprise des catalogues des imprimés sur des fiches conformes au modèle international, interfoliation pour mise à jour et commentaire critique des répertoires publiés, étude des bâtiments comme des manuscrits de Cîteaux (où il découvre les débuts de l’héraldique), rédaction de la Bibliographie bourguignonne fondée en 1939 avec Henri Drouot, formation professionnelle (enseignement à l’École nationale supérieure des bibliothèques), promotion de la lecture : bibliothèque jeunesse dès 1961. Puis, à la faveur de l’Année internationale du livre en 1972, sur un rapport de Jean-François Bazin, création du réseau des annexes : Fontaine d’Ouche (1973), Maladière (1979), Voltaire (1976), bibliobus (1983), Port du Canal (1984). Enfin, adéquation du dépôt légal et de la région de Bourgogne avec insertion de celui-ci au centre du dispositif bibliothéconomique pour la constitution du patrimoine écrit… Président du groupe Bourgogne – Franche-Comté de l’Association des bibliothécaires français, il organisa le congrès national de 1966 à Dijon. Auteur de près de 200 articles, touchant à l’histoire régionale (fortifications et diocèse de Chalon, topographie dijonnaise), excellant dans les « sciences auxiliaires » (numismatique, sigillographie, diplomatique), de comptes rendus où il signalait les découvertes et les avancées… ou dénonçait les erreurs, lacunes, défaillances de méthode, il a dirigé l’Histoire de Dijon de la collection « Univers de la France et des pays francophones » (Privat, 1981 ; rééd. 1987). Élu membre de l’Académie de Dijon dès 1945, il en fut un résidant actif, animant aussi bien la commission des arts et lettres que celles des antiquités ou de l’héraldique et de la numismatique… Dès après qu’il eut fait valoir ses droits à la retraite, la maladie ne lui a pas permis, comme il l’espérait, de continuer ses travaux ; elle l’a notamment empêché de réaliser le catalogue du médaillier dont il avait le projet. Il est décédé le 13 juin 1998 et a été inhumé à Rupt, village de Haute-Marne d’où était originaire son épouse Michelle Delessard (décédée en 1968), le 18 juin, deux jours avant l’inauguration de l’exposition Trésor des humbles présentée dans le dortoir des bénédictins pour le 800e anniversaire de l’abbaye de Cîteaux que nous lui avons dédiée.- MCB
Jean Richard, Abert Poirot, « Éloge de Pierre Gras », Mémoires de l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, t. 137, 1999-2000, p. 119-134, ill ; - Jean Richard, « Pierre Gras aux Annales de Bourgogne », suivi de sa bibliographie rédigée avec Catherine Gras et Martine Chauney-Bouillot, Annales de Bourgogne, t. 71, 1999, p. 349-366.